J’ai lu avec intérêt votre éditorial du mercredi 25 novembre 2015 : « Rien n’est gagné pour Martelly et ses supporters nationaux et internationaux ».
Rien n’est simple évidemment. Quelle que soit l’option choisie par la classe politique qui conteste ces élections frauduleuses. Les choses n’ont jamais été aussi complexes vu la coalition de forces et d’intérêts contre l’État-nation haïtien. Il sera difficile à un petit pays comme Haïti de résister aux assauts de ces puissants acteurs. Difficile mais pas impossible.
Je ne suis pas analyste politique, je ne donne que mon avis de citoyenne.
Participer au second tour de ces élections frauduleuses serait la pire option pour le candidat Jude Célestin. Ce choix pourrait signer la mort politique de Jude Célestin une fois pour toutes (je m’explique plus loin).
« Si Jude Célestin di Djab lan bonjou l ap manje l; si l pa di l bonjou l ap manje l ».
Avec le recul et le contexte des enjeux économiques et politiques, on n’a pas besoin d’être grand clerc pour prédire le même sort de Mme Mirlande Manigat (2011) à M. Célestin (2015), si ce dernier fait le calcul erroné de cautionner les pires élections qu’aient connues Haïti (hormis celles du 29 novembre 1987, triste date de la tuerie de la ruelle Vaillant).
Les « chœurs angéliques » qui sous-estimaient la détermination du pouvoir exécutif (qui s’est adjoint TOUT le CEP) en vue de placer son candidat coûte que coûte au Palais national, comprennent maintenant que l’équipe au pouvoir ne blague pas. Ils se sont réveillés le lendemain de la publication des résultats « définitifs » par le CEP avec le goût ranci de la crédulité.
1) Et bien oui, l’équipe plurielle au pouvoir est plus que déterminée à garder le pouvoir pour les 20 prochaines années. Avec ce CEP, avec l’appui de la Communauté internationale, elle réussira si le processus électoral se poursuit…
Le clan du candidat Jude Célestin, si c’est vrai qu’il est en train de négocier avec la Communauté internationale, va se faire avoir. La CI perçoit une revanche de l’ex-président René Préval à travers le candidat Jude Célestin. Et malgré les promesses de la CI au clan du candidat Jude Célestin, la CI sera plus à l’aise avec un Jovenel Moïse qu’avec Jude Célestin. D’ailleurs, à Washington on vantait hier encore les mérites de l’équipe Martelly/Lamothe qui aurait concédé tellement de choses, qu’on dit que « c’est la première fois qu’un gouvernement haïtien donne autant ». Alors, pourquoi changer une équipe qui donne autant et Jovenel Moïse c’est le gage de cette continuité généreuse. L’ancien premier ministre Lamothe mise gros également sur le candidat Jovenel Moïse qu’il entend bien remplacer en 2021. D’autant plus que Lamothe a déjà fait le plein d’appuis (dans les 2 camps) aux États-Unis.
2) La Communauté internationale va continuer d’appuyer l’équipe au pouvoir. Tout le ballet diplomatique n’est qu’un vain exercice de diversion.
Ce qui est différent en 2015 par rapport à 2010. La Communauté internationale ne voulait plus de l’ancien président Préval, elle cherchait à prendre le contrôle total du pays, et c’est le candidat Michel Martelly qui représentait le meilleur profil pour concrétiser cet objectif. Elle a réussi. « Michel Martelly va nous écouter, il fera ce qu’on lui demande » se réjouissait un membre de la CI. Alors pourquoi lâcherait-elle cette prise de contrôle d’Haïti ? En 2015, la CI endosse le candidat de Martelly, ses intérêts seront préservés. Elle est satisfaite des élections. Et ce qu’en pensent les Haïtiens et les Haïtiennes importe si peu.
3) Les manifestations pacifiques dans les rues n’auront pas l’effet escompté si en même temps les acteurs politiques décident de prendre part au processus électoral. On l’a vu jusqu’à présent, toutes les manifestations et protestations n’ont pas fait dévier l’équipe au pouvoir de son objectif final. On ne souhaite pas de manifestations violentes dans le pays, on n’aimerait pas une situation de guerre civile… C’est par la violence que Michel Martelly avait accédé au pouvoir en 2010-2011… Les mêmes machettes utilisées en 2010-2011 sont entre les mains de Jovenel Moïse maintenant.
Le candidat Jude Célestin de 2015 serait différent de celui de 2010 me dit-on. Il a l’occasion de le prouver aujourd’hui. Il doit faire preuve de courage politique et porter les gallons de la résistance en refusant de participer au second tour des élections présidentielles prévues pour le 27 décembre 2015. Quelques éléments analytiques pour appuyer cette position.
4) Selon le sondage de l’institut brésilien Igarapé, le candidat Jude Célestin aurait gagné le vote populaire. Alors si ce sondage dit vrai, le candidat Jude Célestin a tout intérêt à gagner à travers des élections acceptables aux yeux de la population haïtienne. Cautionner ces fausses couches électorales, en couture depuis le 9 août 2015, risque de lui faire perdre l’adhésion de plusieurs électeurs et s’aliéner une grande partie de la population qui rejette fortement ces élections.
5) Le sondage révèle également une information très pertinente : les électeurs ont évolué d’un optimisme prudent le 25 octobre au pessimisme presque total. Ce sont de vrais électeurs qui ont été interrogés. Ce qui laisse penser que les électeurs bouderont davantage le second tour prévu pour le 27 décembre. S’ils savent que leur vote du 25 octobre ne compte pas, de manière aussi flagrante, pourquoi devraient-ils se rendre une nouvelle fois dans la cage à pigeons ? On peut s’attendre donc à une participation électorale beaucoup plus faible que lors du premier tour des présidentielles.
6) Or si l’électorat boude, ce qui laissera une large place aux manipulations de toutes sortes, le clan de Jude Célestin n’aura plus de coussin de sécurité via le « vote populaire ». Il faudrait pouvoir compter sur un fort taux de participation électorale (entre 50 % à 70% ) pour neutraliser l’effet des fraudes. Et voilà, advenant un concours de fraudes entre les deux protagonistes, on sait pertinemment que l’équipe au pouvoir part avec de gros avantages, ceux de contrôler le CEP, la police et les fonds publics et l’appareil étatique. Bien fou celui qui pense rivaliser avec les fraudeurs au pouvoir, conseillés par des experts internationaux en fraude.
Le vrai combat de la classe politique réside dans le refus catégorique d’élections frauduleuses en Haïti. Ce serait le début du réel changement. Malheureusement, cet engagement fait défaut. La classe politique n’est pas convaincue (sauf exception) que la bataille électorale peut se gagner hors des frontières de la magouille. Les fraudes sont devenues la norme.
Il s’agit d’obtenir un engagement ferme de la classe politique contre la tenue d’élections frauduleuses en Haïti.
Je ne suis pas particulièrement partisane de la voie transitionnelle. Et je trouve que les promoteurs actuels de la transition se tirent des balles dans les deux pieds par l’agenda de transition présenté au public. Un gouvernement de transition ne devrait pas avoir le mandat de changer la Constitution haïtienne et de mener des réformes profondes. Si jamais, Haïti devrait passer par cette option, les élections honnêtes et crédibles en constitueraient l’unique mandat. Ce serait un bond en avant. Personne n’a envie d’une transition qui dure deux ans, voire trois ans. On peut organiser de bonnes élections dans un intervalle de six mois à 9 mois, et le plus rapidement possible.
Je viens de lire les conseils de quelqu’un qui se croit sage et demande en même temps un second tour mais avec un autre CEP.
Je vous laisse sur cette mauvaise blague…
Cordiales salutations,
Junia Barreau
«Même si vous ne cherchez pas la guerre, c’est la guerre qui vous cherche». Léon Trotski
Et l’on peut ajouter : celui qui entreprend une guerre à demi, signe sa défaite avant même de la commencer. On ne fait pas la guerre à moitié. Jb