Après la création de la Brigade d’intervention contre l’insécurité foncière (BRICIF), le président de la République a annoncé maintenant son intention de soumettre au Parlement un projet de loi pour combattre l’utilisation du jugement par défaut dans les conflits terriens. Jovenel Moïse a fait cette promesse lors d’une rencontre avec la diaspora haïtienne à Montréal le vendredi 8 juin dernier en marge de sa participation au Sommet du G7. Des avocats comme Patrick Laurent et Claudy Gassant estiment qu’on n’a pas besoin d’une loi pour résoudre le problème et que le jugement par défaut ne concerne pas uniquement les confits terriens.
Le jugement par défaut est une pratique courante dans le système judiciaire haïtien. Une arme redoutable. Le président de la République a annoncé qu’il allait déposer au Parlement un projet de loi pour résoudre la question de jugement par défaut dans les conflits terriens. Les deux parties doivent être présentes lors d’un jugement avant toute exécution, exige maintenant le locataire du Palais national. Sinon, le jugement ne doit pas être exécuté, selon les vœux du chef de l’État sous les applaudissements des participants à la rencontre à Montréal.
« Vous pouvez être ici dans la diaspora, sans que vous le sachiez, on fait un jugement par défaut qui est exécuté et on vous vole vos terres… », a tancé Jovenel Moïse pour expliquer les méfaits du jugement par défaut.
Le chef de l’État a fait savoir que dès son arrivée au pouvoir il a créé la Brigade d’intervention contre l’insécurité foncière pour lutter contre la spoliation. « Moi personnellement je suis passé à Vivy-Mitchel où une seule personne avait réclamé 300 carreaux de terre. Les papiers qu’elle avait utilisés pour le jugement sont faux », a indiqué le chef de l’État.
Avant de soumettre son projet de loi au Parlement, le chef de l’État veut renforcer la BRICIF. Il dit avoir encore à l’esprit l’opération de cette unité à Thiotte dans le département du Sud-Est au cours de laquelle, une quinzaine d’agents de police ont été mis en déroute par des membres de la population de cette zone. « Deux véhicules de police ont été incendiés et les armes des policiers saisis par des bandits », a rappelé Jovenel Moïse.
Une loi sur le jugement par défaut n’est pas la solution…
Le jugement par défaut est une audience à laquelle la partie défenderesse ne s’est ni présentée ni se fait représenter par un avocat, a précisé Me Patrick Laurent. Il a souligné que le jugement devait être publié dans un organe de presse à grand tirage avant son application.
Le justiciable lésé par un jugement par défaut a droit à trois recours. D’abord, il peut faire opposition après la publication du jugement dans un journal. À ce niveau, il dispose environ de 32 jours pour le faire. Ensuite, il peut aller en appel si le délai pour faire opposition a expiré. Là encore, il dispose de 32 jours. Enfin, il peut aller en cassation si le délai de l’appel a expiré. « Après le jugement par défaut, il faut environ 120 jours pour faire recours avant l’exécution de la décision », a expliqué Me Patrick Laurent.
Pour Me Laurent, une loi sur le jugement par défaut ne résoudra pas le problème foncier. Il propose aux pouvoirs publics de mettre en place des mécanismes qui permettront de faire savoir aux concernés impliqués dans un dossier judiciaire. Il propose aussi que le juge chargé du dossier se déplace pour aller vérifier la propriété terrienne en conflit avant toute décision. Cela permettra, a-t-il ajouté, d’avoir plus d’informations sur la portion de terre en conflit. « On n’a pas besoin de loi pour le faire… », a-t-il souligné
Il a fait remarquer que certaines fois des justiciables décidaient volontairement de ne pas répondre à des invitations de la justice. « Ce comportement ne doit pas paralyser le fonctionnement du tribunal », a rappelé Me Laurent.
Pour Me Claudy Gassant, pour résoudre la question d’insécurité foncière, le chef de l’État doit connaitre d’abord les acteurs impliqués. « Ils sont d’abord des notaires et des arpenteurs commissionnés par le président, les doyens des tribunaux civils, les commissaires du gouvernement, la police, des sénateurs, des députés, des ministres, la DGI. Ils sont tous des fonctionnaires de l’État », a-t-il fait remarquer.
Il n’est pas normal que les fonctionnaires de la DGI enregistrent plusieurs fois une seule et même propriété, a tancé l’homme de loi.
Me Gassant croit que pour résoudre le problème, il faut de préférence une loi pour criminaliser avec une procédure célère le comportement desdits acteurs. « Il doit ajouter aussi une circonstance aggravante quand des juges, des policiers, des commissaires du gouvernement, des membres du gouvernement, des sénateurs et des députés sont impliqués dans l’insécurité foncière les condamnant à perpétuité », a-t-il conseillé au chef de l’État.
Me Patrick Laurent et Me Claudy Gassant estiment que les juges doivent se déplacer pour aller enquêter avant de prendre une décision, même par défaut.
Le chef de l’État a fait savoir à la diaspora de Montréal que la lutte contre la corruption et la spoliation n’est pas facile. « Vous qui avez des terres en Haïti, je vous dis que je vais continuer la bataille. Mais quand vous avez un problème, adressez-vous à l’ambassade. Ne passez pas par des chemins détournés. Allez voir les officiels; à ce moment je serai informé plus rapidement… », a avancé Jovenel Moïse, promettant d’intervenir.
Le chef de l’État en a profité pour louer les réalisations de la BRICIF qui, selon lui, a fait plusieurs interventions pour déloger des spoliateurs et restituer des propriétés terriennes à leurs propriétaires.
Robenson Geffrard Source Le Nouvelliste