L’Association des industries d’Haïti (ADIH), le Forum économique du secteur privé et la Chambre de commerce et d’industrie de l’Ouest (CCIO), trois regroupements de patrons, d’entrepreneurs et d’industriels ont, chacun dans un communiqué, appuyé la décision du ministère de l’Economie et des Finances de réguler l’importation de 23 produits en provenance de la République dominicaine. Ces produits, qui vont du ciment gris, à l’eau potable, du fer à la farine, doivent désormais être importés en Haïti en passant par l’aéroport ou le port de Port-au-Prince ou par le port du Cap-Haïtien.
L’unanimité dans la satisfaction de ces trois associations est admirable et rare. Peu de ministres de l’Économie et des Finances peuvent se flatter d’avoir recueilli, au cours de leur carrière, un appui aussi massif des groupes organisés du secteur privé.
Dans le grand public aussi, on s’est réjoui, en ces temps de bisbilles avec nos voisins, de ces mesures qui limitent les marges de manœuvre des Dominicains sur le marché national. Il faut dire que, depuis cinq ans, Haïti est devenue une simple province de la République dominicaine. Un grand marché ouvert à tout.
Bien entendu, il y a des questions qui restent en suspens : la contrebande ne va-t-elle pas se renforcer avec la fermeture des points de passage de la frontière terrestre à ces produits de grande consommation ? Les prix ne vont-ils pas flamber d’ici quelques semaines ? Les secteurs de l’économie locale en faveur duquel les 23 produits sont limités dans leur transit vers Haïti vont-ils être à même de répondre à la demande de satisfaire le marché local ?
Pour le moment, on n’a pas de réponse à ces questions.
La République dominicaine étant le plus proche fournisseur d’Haïti, l’ajustement pour le fret, qu’imposent détour et nouveaux moyens de transport, ne devrait pas être astronomique. Si au passage les douanes haïtiennes arrivent enfin à taxer ce qui passe sous ses meilleurs points de contrôle, ce ne sera pas un mal.
Pour certains, comme Edwin Paraison, il y a des éléments qui ne sont pas clairs dans ce dossier. Les importateurs les plus importants des produits dominicains sont d’influents commerçants de la place, pourquoi s’en prend-on à eux maintenant ? Des opérateurs économiques de gros calibre des deux pays animent le forum Quisqueya avec des projets totalisant des milliards de dollars, qui veut les stopper ?
Sur le plan politique, cette disposition, appuyée par plus d’un en Haïti (en raison du contentieux migratoire), affecte durement les petits importateurs (madan sara des marchés frontaliers qui voyagent aussi jusqu’aux grands magasins et dépôts de «La Benito» ou de Santiago, de La Vega et de La Romana) en pleine conjoncture électorale, souligne Paraison. Les nouvelles réglementations sur les importations ne vont-elles pas causer des dommages aux candidats du camp présidentiel ?
Autant de questions qui, elles aussi, méritent une attention soutenue.
Alors que la campagne électorale tarde à prendre définitivement son envol et que chaque jour on se réveille avec l’inquiétude de savoir qu’un nouvel incident perturbe le trafic à l’un des points de passage à la frontière entre Haïti et la République dominicaine, une délégation du Club de Madrid rappelle que « Haïti fait actuellement face à deux défis de taille : un processus électoral complexe à grande échelle – avec des élections présidentielle, législatives et locales – et la nécessité de renouer un dialogue constructif, avec une vision globale et de long terme, avec la République dominicaine ».
Établir un dialogue constructif avec une vision globale et de long terme, réguler et équilibrer le commerce entre les deux pays, décider en commun les lignes directrices d’une politique migratoire semblent autant de points sur lesquels les deux pays ne peuvent pas s’entendre.
Frantz Duval Editorial du Nouvelliste
