Le président Michel Martelly, à la tribune des Nations unies, a assuré que des « progrès significatifs » ont été accomplis en Haïti depuis quatre ans. « La démocratie s’est consolidée, les institutions garantes de l’Etat de droit se sont affermies », a-t-il dit tout de go. Si il ne fait aucun doute que la liberté d’expression, l’un des piliers de la démocratie, n’a pas souffert d’agression caractérisée, hormis les écarts de langage et la grossièreté du président lui-même vis-à-vis de certains journalistes, à l’épreuve de quelques faits, il est difficile de prouver en quoi des institutions garantes de l’Etat de droit se sont affermies.
Le Parlement, non fonctionnel depuis janvier 2015 pour des raisons non imputables uniquement à Michel Martelly, n’est-t-il pas une institution qui garantit l’Etat de droit ? N’avait-on pas, en décembre 2014, poussé à la démission le président du CSPJ, de la Cour de cassation, le juge Arnel Alexis Joseph, perçu comme un serviteur servile de l’exécutif rose ? Quelques mois après, soit en avril 2015, un juge, Lamarre Bélizaire, présenté par plusieurs organisations de défense des droits de l’homme comme inféodé au régime Tèt Kale, n’avait-il pas libéré deux présumés kidnappeurs bien branchés dans les hauts lieux du pouvoir ?
Qualifié de procès de la honte, le gouvernement avait saisi la Cour de cassation sur ce dossier emblématique de la déliquescence du pouvoir judiciaire. Cinq mois après, la Cour de cassation, loin d’être un ultime rempart contre l’inacceptable, n’a-t-elle pas, pour le moment, regarder ailleurs ? « Les droits de l’homme ont été promus et respectés », a affirmé le président Michel Joseph Martelly. En quoi, si l’on ramène sur le tapis une situation dont il a, il est vrai, héritée : la détention préventive prolongée. Par à-coups, des ministres de la Justice ont pris des initiatives pour résoudre le problème. Les résultats ne sont pas encore au rendez-vous. Plus de 80 % des détenus qui vivent dans des conditions infrahumaines dans nos centres carcéraux ne sont pas jugés.
Sans aucun doute, le pays a fait des progrès dans la lutte contre certaines formes de criminalité comme le kidnapping. Cependant, avec une moyenne de quarante à cinquante morts par balle par mois dans la zone métropolitaine de Port-au-Prince, la PNH a du pain sur la planche.
Comment le président Michel Martelly peut-il s’enorgueillir de « l’allègement de l’extrême pauvreté » ? Effectivement, selon la Banque mondiale, il y a eu un petit recul à ce niveau-là. Mais,ne faudrait-il pas relativiser quand 6, 2 millions de personnes vivent dans la pauvreté avec deux dollars par jour et 2,5 millions dans la pauvreté extrême avec moins de deux dollars US par jour ? Quid de l’impact des programmes sociaux dans lesquels cette administration a injecté beaucoup de millions?
En septembre 2015, au regard du dernier rapport de la Banque mondiale, affirmant qu’Haïti, à cause d’une succession de problèmes d’ordre politique, structurel et de calamités naturelles (climatiques et sismiques), depuis 1970, a perdu chaque année 0,7 % de son PIB, comment le président a pu dire « qu’après des décennies de stagnation, l’économie a renoué avec la croissance »? L’inflation est aujourd’hui à deux chiffres, 10,4, % (août) et la gourde a connu une dévaluation de l’ordre de 20 % (+ 50 gdes pour 1 $ us). Contraint de jouer au pompier pour contenir la décote, la Banque mondiale a pris des mesures qui ont eu une incidence directe sur le taux d’intérêt des crédits privés, entre 14 et 16 %. L’investissement est plombé.
Après un bien maigre 2,8 % de croissance du PIB en 2014, et moins de 2 % en 2015, soit une croissance négative quand on considère la croissance démographique, 1,5 % l’an, il serait juste de se demander de quoi parle le chef de l’Etat en évoquant des “progrès significatifs”. A-t-on attiré son attention sur le dernier rapport du CEPALC qui indique que pour 2014, le volume d’investissements directs étrangers a chuté à 99 millions de dollars contre 150 millions pour les années précédentes et que l’essentiel de ces investissements est dans le secteur touristique ?
Le « fact check » pourrait se poursuivre pour vérifier ses affirmations et aussi mettre sur le tapis le poids du déficit public et de l’endettement d’Haïti (+ 2 milliards us) sous cette administration pour financer des travaux n’ayant pas d’effets sur la production et sur l’économie globalement ? Cela dit, il ne faudrait pas s’attendre à ce que le président Martelly, qui prend la porte dans quelques mois, se donne un mauvais carnet. On dira qu’à ses yeux, le verre est à moitié plein. Soit, même s’il n’a pas été le plus mauvais président qu’Haïti ait connu.
Mais, avec ce tableau, loin de coller à la réalité objective des finances publiques et de l’économie en ces temps d’assèchement de l’aide publique au développement, le président Martelly dessert les intérêts d’Haïti. La vérité, notre vérité, c’est que nous avons un pays avec des indicateurs au rouge, cinq ans après un séisme dévastateur qui a provoqué un immense élan de solidarité internationale. Peut-être que Martelly sonnerait plus vrai, plus juste, plus responsable en disant qu’Haïti est un pays qui se bat encore avec ses vieux démons, un pays qui finira par trouver sa voie, un pays reconnaissant envers les vrais amis et qui sait désormais reconnaître les vautours, les pilleurs de malheurs ayant des connexions à Washington, Bruxelles, Paris et ailleurs…
Roberson Alphonse Editorial du Nouvelliste