Membre du groupe des huit candidats à la présidence protestataires (G8), Moïse Jean-Charles, en visite de courtoisie au Nouvelliste le jeudi 2 décembre, a soutenu que le processus électoral ne peut pas se poursuivre sans la mise sur pied d’une commission indépendante pour ‘’évaluer’’ le premier tour de la présidentielle. « Il n’y aura pas d’élections le 27 décembre », assure Moïse Jean-Charles, qui se considère comme la « principale victime » des résultats publiés par le Conseil électoral.
Costume gris foncé seyant, chemise blanche, cravate rouge, Moïse Jean-Charles a visité le Nouvelliste le jeudi 2 décembre. Il est le seul des principaux candidats à la présidence à n’avoir pas eu le temps de rendre une visite de courtoisie au journal pendant la campagne électorale pour le premier tour du scrutin. Ce n’est pas le Moïse Jean-Charles bouillant. Certes, le ton change mais pas le verbe.
Le leader de la plateforme politique Pitit Dessalines est déçu des résultats du premier tour de la présidentielle, mais surtout du Conseil électoral provisoire (CEP) qui les a publiés. « Ces joutes électorales ont été réalisées par un Conseil électoral provisoire pour lequel on s’était tellement battu, a déclaré l’ex-sénateur. La mise sur pied du Conseil électoral permanent ayant été impossible, on a monté une structure provisoire composée de l’ensemble des forces vives de la société. C’est bien dommage que tous ces représentants aient failli à leur mission. »
Moïse Jean-Charles, qui est arrivé en troisième position selon les résultats du CEP, veut des têtes au sein de ce CEP « têtu ». C’est aussi l’une des recommandations du G8. « Cinq ou six conseillers devront partir, affirme l’ex-sénateur. Nous réclamons aussi des changements au sein du gouvernement. Quand tout sera fait, on pourra avancer dans le processus électoral. »
Commission, commission, commission
Depuis quelques semaines, l’une des principales recommandations de ce groupe de candidats à la présidence est la mise en place d’une « commission indépendante » pour évaluer et épurer les élections du 25 octobre qui auraient été émaillées de fraudes au profit du candidat du pouvoir. « Nous continuons de réclamer la commission indépendante pour épurer le processus, et évincer Jovenel Moïse de la course, indique Moïse Jean-Charles. Et si Martelly persiste et ne veut pas lâcher son poulain, il partira. Il y a de fortes chances que l’on arrive à un gouvernement de transition. »
Selon Moïse Jean-Charles, cette commission indépendante doit être composée des différents secteurs ayant formé le CEP. « Nous sommes convaincus qu’il y a encore des gens de confiance dans le pays, déclare le leader de Pitit Dessalines. Cette commission indépendante n’irait pas se substituer au CEP et devrait communiquer les résultats de son travail à l’organisme électoral. Nous avons une feuille de route qui sera donnée à cette commission. »
Le CEP ne tient pas compte de cette recommandation, à savoir la mise en place d’une commission indépendante pour réévaluer les élections. Ce n’est pas prévu dans le décret électoral. « Ce CEP, qui refuse de mettre sur pied la commission indépendante, a, à son tour, institué sa commission formée de certains de ses membres, critique l’ancien sénateur du Nord. Mais, celle-ci n’est pas non plus prévue par le décret électoral, comme on argue pour la commission indépendante que nous réclamons. »
Moïse Jean-Charles évoque la jurisprudence. « Il y a eu par le passé d’autres CEP qui ont pris cette option, indique-t-il. Et c’était plus grave, car il s’agissait de commission formée par des étrangers. Pourquoi aujourd’hui des Haïtiens ne peuvent-ils pas faire autant ? », se demande l’opposant farouche au pouvoir en place.
Pour Moïse Jean-Charles, le CEP, pour avoir fait la « sourde oreille » depuis le début du processus, est le principal responsable de la crise post-électorale. « Il n’y a pas que Moïse Jean-Charles et le G8 qui réclament cette commission indépendante, dit-il. D’autres instances, notamment l’Eglise catholique, les pasteurs, la société civile… La situation se dégénère davantage. Et voilà que le gouvernement se met aussi de la partie. Le président a formé une commission. C’est le résultat des pressions internationales. Est-ce que cette commission va travailler dans l’intérêt de la nation ? Je ne sais pas. »
Par ailleurs, à la question de savoir pourquoi aucun des huit candidats protestataires n’avait pas contesté juridiquement les résultats des élections, Moïse Jean-Charles précise : « Au G8, nous avons convenu de ne pas produire de contestation car nous ne reconnaissons pas ces résultats. Et de plus, le pouvoir détient le contrôle de l’ensemble des juges du BCED et du BCEN. Ensuite, qui a dit que le CEP allait se courber aux décisions du BCEN ?
Pas question de front commun pour affronter Jovenel Moïse
Pour faciliter une sortie de crise, le souhait de certains acteurs de la vie nationale était de voir les huit candidats faire un front commun pour affronter Jovenel Moïse. « Cette option était effectivement sur le tapis », a confirmé Moïse Jean-Charles, qui a rejeté cette proposition. Et il assume.
« J’ai refusé cette option pour trois raisons, explique le leader de la plateforme politique Pitit Dessalines. D’abord, il faut être cohérent dans la vie. Et je peux dire que la raison d’être de ma bataille politique tient du fait que je suis un homme de principe. Quand on détient la vérité et la loi à ses côtés, quand on est cohérent et respectueux des principes, on est invincible politiquement. »
« Comme leaders et candidats, nous avions dénoncé des fraudes, le BCEN l’a confirmé, poursuit Moïse Jean-Charles. Dans de telles conditions, pourquoi devrait-on penser qu’on peut combattre Martelly et Jovenel Moïse par un front commun ? On ne peut pas écarter notre position initiale et faire fi de l’ensemble des revendications de la masse populaire dans le seul objectif de conquérir le pouvoir. »
« Toutes les manœuvres se font contre moi »
Moïse Jean-Charles soutient qu’il est la principale victime de toutes «ces manœuvres électorales ». Ne ratant jamais l’occasion de critiquer l’administration Martelly, l’ex-sénateur estime que beaucoup de secteurs ne souhaiteraient pas son élection à la tête du pays. « On ne veut pas de moi parce que j’avais pris une résolution réclamant le départ de la Minustah, estime Moïse Jean-Charles. De plus, le président de la République, dont l’entourage est mêlé à divers cas de corruption, est inquiet. C’est pourquoi on se dresse devant moi. J’en suis conscient, et divers secteurs du pays ont heureusement compris le jeu. »
Pour l’ex-sénateur du Nord, il n’y a aucune raison d’avoir peur. Il s’explique : « J’avais rencontré divers secteurs lors de la campagne électorale, pour leur indiquer ma position. En ce qui concerne le départ de la MINUSTAH, j’avais dit clairement à la communauté internationale que cette option passe par le renforcement de la PNH. »
« J’avais aussi rencontré plusieurs membres de l’élite économique, poursuit Moïse Jean-Charles dans ce long entretien. Je leur ai dit que je ne vais pas faire une chasse aux riches. De préférence, il faut élargir l’économie, passant par l’accès au crédit, la création de PME, afin de permettre l’expansion de la classe moyenne. Mon objectif n’est pas de détruire l’élite économique. J’opte pour une nouvelle classe économique qui croit dans la production nationale. »
Par ailleurs, alors que le CEP maintient le cap sur le second tour du scrutin et que le candidat du PHTK poursuit ses meetings, Jude Célestin et ses « alliés » continuent de se réunir, sans envisager un second tour le 27 décembre prochain. « Il n’y aura pas d’élections le 27 décembre prochain, insiste Moïse Jean-Charles. La plateforme Pitit Dessalines n’acceptera pas la tenue des élections sans la mise sur pied de la commission indépendante. Les fraudeurs ainsi que les bénéficiaires des fraudes doivent payer. De plus, avec Jovenel Moïse dans la course, il n’y aura pas d’élections. » Valéry Daudier et Jean Daniel Sénat Source Le Nouvelliste