Un document du ministère de l’Économie et des Finances (MEF), intitulé « Politique douanière : encourager la production nationale », dont la version électronique est parvenue à la rédaction, informe de la volonté de l’exécutif haïtien de donner un coup de fouet à la production nationale en augmentant les tarifs douaniers prélevés sur des produits généralement importés.
Ce document mis en circulation par le MEF en début de semaine dresse une liste de 22 familles de produits (alimentaires, boissons de toutes sortes, peinture, tabac, etc.), importés depuis des années, et qui pourraient être fournis par des entreprises en Haïti revendiquant pour la plupart une capacité installée à même de satisfaire la demande locale.
Ainsi, pour tenter d’endiguer cette importation massive et effrénée à laquelle se livre Haïti – à mesure que le tissu productif local s’étiole – et inciter les investisseurs locaux à produire localement, le MEF propose un ajustement des tarifs douaniers, allant de 10% à 40, sur les produits alimentaires (farine, pâtes, Corn Flakes, couscous), boissons (eau, gazeuses, énergisantes, bières, rhums, whisky, etc.), peinture, produits en plastique et autres, détergents et produits de nettoyage ainsi que tabac.
A en croire le MEF, ces ajustements tarifaires visent à décourager l’importation de biens manufacturés déjà produits ou en mesure d’être produits sur place. Et si ces nouveaux tarifs douaniers devaient être appliqués, le tabac subirait le plus fort ajustement (40%) car le ministère propose un taux de 60% contre celui de 20% en vigueur actuellement. S’ensuivent des propositions d’ajustement de 35% sur le whisky, vodka, cognac, brandy et apparentés (passant de 25% de taux appliqué à 60% de taux proposé) ; de 30% sur les détergents et produits de nettoyage (savons de toilette en barres et liquide, etc.) ; de 25% sur la farine en sac et les produits plastiques et autres (assiettes, gobelets et autres contenants en plastique).
Cette proposition d’ajustement de tarifs douaniers survient trois ans après les mesures d’interdiction d’importation par voie terrestre sur le territoire national de 23 produits en provenance de la République dominicaine. « Ces mesures devraient entraîner une baisse de la pression sur les devises, le développement de la capacité des producteurs locaux à exporter vers les espaces économiques ouverts à nos produits (amélioration balance commerciale), ainsi qu’une évolution plus rationnelle de nos choix économiques (tant publics que privés) », peut-on lire dans ce document du MEF.
« L’arrêté de mars 2018 visant à renforcer la position de la gourde comme médium privilégié des transactions sur le territoire national (politique monétaire) ne pourra atteindre son objectif que s’il est accompagné de mesures visant à encourager la production nationale », a poursuivi le document, expliquant que les mesures d’ajustement tarifaires proposées s’inscrivent dans le cadre d’une politique économique globale (à la fois budgétaire, fiscale et douanière).
En plus de l’ajustement des tarifs douaniers appliqués à 22 familles de produits, avec une liste d’attente concernant au moins 15 autres, la proposition du MEF inclut le renforcement en parallèle des contrôles internes ainsi que les contrôles à l’import (qualité, position tarifaire, contrebande). Auxquels il faut ajouter la convergence des politiques publiques interministérielles et interinstitutionnelles et particulièrement l’harmonisation de la politique douanière avec les mesures visant la promotion de l’investissement.
Contrebande, concurrence illicite, rupture avec les connivences, bureaucratie et lourdeur administrative constituent quelques-uns des risques et défis que le MEF doit maîtriser pour atteindre les objectifs suivants : cohérence entre les politiques publiques; amélioration de la balance commerciale; croissance structurante; réduction de la dépendance financière du pays; et stabilité monétaire.
Ces nouveaux tarifs douaniers sont proposés en guise d’alternative à l’envahissement du territoire national par les produits en provenance de la République dominicaine, au grand dam de certains agents économiques et producteurs locaux. Les exportations dominicaines sont responsables de 42% du déficit commercial total d’Haïti, a révélé un article du magazine Rythme Économique traitant du commerce binational.
« En moyenne, pendant 2014-2015, les exportations dominicaines vers Haïti représentent 13% du total des exportations dominicaines et 31% des importations totales d’Haïti, pour atteindre un montant supérieur à 1.2 milliard de dollars américains […] Alors qu’Haïti exporte seulement pour 1 ou 2 millions de dollars vers la République dominicaine », a fait ressortir le magazine consacré à la réflexion sur les relations bilatérales entre les peuples haïtien et dominicain.
Face à cette sombre réalité, le MEF a cru nécessaire de solliciter la « collaboration des acteurs du système pour confronter le défi de la croissance et construire un avenir économique structurant, à savoir une croissance durable axée sur le renforcement de la production nationale, au bénéfice de la collectivité ».
D’après le MEF, la proposition de ce nouveau train de mesures, élaborée en marge de la finalisation du budget rectificatif 2017-2018, répond à l’agenda progressif du secteur privé pour la production nationale (présenté par le Forum économique du secteur privé le 29 mai 2017) ; à l’arrêté publié le 7 mars 2018 par le gouvernement et portant obligation de libeller les transactions commerciales sur le territoire dans la monnaie nationale qui est la gourde ainsi que la signature le 27 avril 2018 d’un pacte entre le secteur privé et le gouvernement pour renforcer la lutte contre la corruption
Patrick ST PRE source Le Nouvelliste