Houuu ! Hooo ! Woow ! Les cris de joie fusent. La voiture officielle, bicolore au vent, vient d’entrer dans la cour de la Maison de l’Amérique latine.
Quand Michel Martelly reçoit le ok des agents de sécurité français, il est happé par la foule agglutinée sur le perron. Ce n’est pas une haie sage qui accueille le président haïtien, mais une bousculade d’honneur. Le désordre chaleureux de ses compatriotes remplace le protocole républicain. Retour sur la première journée de Michel Martelly à Paris.
« Quand Duvalier est poursuivi par la justice haïtienne, sans succès, c’est la faute à Martelly. Quand la justice haïtienne rend un verdict contre Duvalier, c’est la victoire des ennemis de Martelly », se lamente un partisan de Michel Martelly sur la cour de la Maison de l’Amérique latine, jeudi soir à Paris.
« C’est historique ce qui vient de se passer en Haïti et Martelly est en France, pays des droits de l’homme, mais aussi protecteur de dictateurs, pour le vivre, c’est historique aussi ».
Comme des dizaines de compatriotes, Jacques, bracelet rose au poignet, se désole de n’avoir pas pu accéder à la salle où « son président », insiste-t-il, tient une rencontre avec la communauté haïtienne de France. Pour ne pas perdre son temps, il lâche, à qui veut l’entendre, ses commentaires sur l’actualité du jour. Cela le calme, dit-il, de son rendez-vous manqué avec Martelly.
Succès plus foule
Le rencontre entre le président et ses concitoyens, ouverte à tous, a eu un succès que l’ambassade d’Haïti en France n’avait pas escompté. Sur la cour de la Maison de l’Amérique latine, beaucoup s’en plaignent. « C’est inqualifiable », disent les uns, « c’est un manque d’égard pour nous, Haïtiens de France », renchérit un participant frustré.
« Ils ont choisi une belle adresse, c’est chic, mais c’est une petite maison », jette, mi- amusée mi- déçue, une dame dans la quarantaine avancée. Elle regrette que le président n’ait pas fait le déplacement dans un de ces quartiers autour de Paris où vivent les Haïtiens.
« Il aurait dû venir nous voir chez nous. Un jour de week-end. Nous serions dix fois plus nombreux ».
Si à chaque bus qui s’arrête un petit groupe d’Haïtiens pénètrent dans la cour et cherchent à se faufiler jusqu’à la salle où Michel Martelly prend la parole ou d’arriver près d’une des grosses télévisions qui permettent d’avoir un aperçu de la cérémonie, à chaque bus aussi un groupe s’en va.
Les retardataires et les partants, tous sont dépités d’avoir fait le déplacement et de n’avoir pas pu serrer la main au « premier président haïtien tèt kale wòz », comme le dit si bien un sympathisant enthousiaste.
« Di sa nou wè wi laprès », lance, l’air de s’adresser à personne, un autre fan de Martelly.
Tout le monde à la même enseigne
D’ailleurs, sur la cour et dans les couloirs de la Maison de l’Amérique latine, les convaincus par Martelly sont en majorité. Ici et là, se détachent des visages de Français qui coopèrent avec Haïti, de ceux qui ont des liens anciens avec le pays, au-delà des changements politiques, et de curieux qui suivent les visites de tous les officiels haïtiens de passage en France.
S’il faut, à une aune, mesurer le succès de la première journée de la première visite officielle du président Michel Martelly en France, la réunion de ce jeudi soir est exemplaire.
D’ailleurs, des membres de la délégation officielle ont dû tranquillement faire le pied de grue. Dans le brouhaha de l’arrivée, ils n’ont pas pu suivre le président dans son entrée triomphale. « Carnavalesque », a même dit un loustic.
Cinglé dans un élégant imperméable gris souris, l’ambassadeur de France en Haïti, Patrick Nicoloso, patiente avec la foule. Lui non plus n’a pas pu accéder à la salle où Martelly s’adresse aux Haïtiens.
Duvalier et la France
Pour revenir à Duvalier, interrogé par un journaliste français, quelques minutes avant de laisser l’hôtel Le Meurice pour rencontrer la communauté haïtienne, sur le procès en appel contre l’ancien dictateur, le président Martelly s’était gardé de faire de déclaration. Le verdict du tribunal n’était pas encore rendu.
Michel Martelly, d’un œil espiègle, avait cependant souligné pour Xavier Lambrechts, journaliste, rédacteur en chef de TV5 Monde, que c’est en France que Jean-Claude Duvalier avait passé 25 ans, circulant sans se faire inquiéter.
Bousculé depuis des mois pour son attitude bienveillante envers l’ancien dictateur, Michel Martelly aura la paix sur ce dossier où la France n’avait pas pu faire mieux. Tout au contraire.
Alors que les palabres se poursuivent sur la cour de la Maison de l’Amérique latine, il faut souligner que la journée avait commencé sur un autre tempo.
A l’aéroport Charles de Gaule, le président et la délégation haïtienne ont été accueillis sur tapis rouge et mouillé au pavillon d’accueil des officiels de passage avant d’être conduits, escortés de motards et sirène hurlante à l’hôtel des Invalides.
Une arrivée plus protocolaire
Bow !!! Comme une explosion, les premières mesures de la grosse caisse éclatent. La fanfare exécute l’hymne national d’Haïti. La musique emplit la vaste cour d’honneur de l’hôtel des Invalides. Haïti est en France.
Le détachement du 1er régiment de la Garde républicaine en grand uniforme porte beau au garde à vous. C’est le temps des honneurs militaires au président d’Haïti, Michel Martelly, qui vient de traverser la cour de cet ensemble de bâtiments emblématiques de la gloire militaire française.
Accompagné de Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée auprès du ministre de l’Education nationale, et du colonel Pierre-Joseph Givre, représentant du commandant militaire de Paris, le président Martelly, après les hymnes, a passé les troupes en revue dans un protocole réglé au millimètre.
Michel Martelly, arrivé en grand cortège au portail d’entrée de l’imposant complexe après avoir remonté l’avenue du Maréchal Gallieni, n’a sans doute pas eu le temps de remarquer les jardins aux arbustes taillés en obus ni jeter un œil aux canons de bronze de tout calibre alignés un peu partout aux Invalides. Impressionnante collection de trophées ravis par la France à ses ennemis, aucun de ces canons ne vient d’Haïti.
Martelly chez Napoléon
La pluie qui mouille le pavé parisien depuis le matin a cessé. Des quatre côtés de la cour des spectateurs arrêtent leur occupation pour assister à la cérémonie haut en couleur. Quatre millions de personnes visitent chaque année l’hôtel des Invalides et le musée de l’armée française, en ses lieux, le public est assuré.
Les dernières notes de La Dessalinienne sont déjà un souvenir. Du haut de sa statue de pied dominant la cour, un Napoléon Bonaparte de bronze jette un regard éteint sur le faste de l’Etat français déployé pour le président d’Haïti. Le petit caporal devenu empereur et le chanteur devenu président se rencontrent pour la première fois.
Quelques mètres plus loin, reposent les restes de l’empereur français. Napoléon a pour voisin le cœur de son beau-frère, le fameux Charles Leclerc, capitaine-général, chef de l’expédition punitive de 1802, celui-là même, mort de fièvre jaune à l’île de La Tortue la même année, qui n’avait pas pu venir à bout des esclaves insurgés de St-Domingue. C’est le fruit des échecs de ces deux grands soldats français qui explique la cérémonie du jour. Belle ironie.
Michel Martelly n’est pas le premier président haïtien en visite officielle en France. Jean-Bertrand Aristide et René Préval ont fait, dans le temps, le déplacement vers l’ancienne métropole et furent reçus par leur homologue.
Tout Haïtien à Paris sait que l’histoire entre les deux pays est écrite au prix du sang. Dans la cour d’honneur des Invalides où Martelly est le premier chef de l’Etat haïtien a passer les troupes en revue, l’esprit est à l’avenir.
Michel Martelly le fera savoir très vite. Fini la cérémonie protocolaire, c’est au Petit Luxembourg, résidence du président du Sénat français, que le président fait son premier acte de foi en l’avenir des relations entre les deux pays.
Accueilli par Jean-Pierre Bel, qui se relève péniblement d’une chute, dans cette ancienne demeure du cardinal de Richelieu, le président haïtien a eu un tête-à-tête de près d’une heure avec le président du Sénat français.
Une journée chargée
A l’issue de leur entretien et de l’échange de cadeaux (Martelly a reçu un cheval en cristal d’un grand manufacturier français, Bel une boîte ouvragée en corne, d’un artisan haïtien), les deux hommes ont fait pour la presse la restitution de leur rencontre.
« Nous avons une histoire commune que nous connaissons tous, ce passé nous ne l’avons pas forgé, nous en sommes les héritiers. Par contre, nous pouvons forger l’avenir », a indiqué le président Martelly en définissant l’essence de son message au président Bel.
Avant, le président haïtien a dit avoir évalué avec son interlocuteur la situation en Haïti en ce qu’il s’agit des élections, de la reconstruction et du renforcement de la présence française en Haïti.
« Nous avons évoqué comment on peut avancer ensemble et mieux », a dit Martelly.
Pour le sénateur Bel, « Haïti se tourne vers l’avenir. La France a un rôle à y jouer. Dès aujourd’hui, je me fais l’ambassadeur de meilleures relations entre Haïti et la France auprès des investisseurs français, mais aussi de la population française qui sont de potentiels touristes »
« La France a beaucoup à apprendre d’Haïti », a aussi déclaré Jean-Pierre Bel, le nouvel ambassadeur de la cause haïtienne en France.
A sa sortie du Petit Luxembourg, le président avait, selon son agenda officiel, un entretien avec Pierre Gattaz, président du Medef, le patron des patrons français. La presse n’a pas participé à ce rendez-vous.
Après la rencontre avec la communauté haïtienne, la première soirée de Martelly à Paris devait s’achever avec un dîner offert en l’honneur de Victorin Lurel, ministre français des Outre-mer, par le président haïtien à l’hôtel Le Meurice, à un jet de pierre du Jardin des Tuileries, entre la place de la Concorde et le musée du Louvre, rue de Rivoli.
Les deux hommes s’étaient déjà rencontrés lors des funérailles de Hugo Chavez. Lurel, ami d’Haïti, antillais, est devenu un passage obligé pour les hauts officiels haïtiens de passage en France. A deux reprises ces derniers mois, il a reçu le premier ministre Laurent Lamothe.
Clin d’œil, le ministère français d’outre-mer, qui a en charge les anciennes colonies restées dans la France d’outre-mer, n’est pas un vis-à-vis pour Haïti. Ce ministère est « chargé d’assurer l’autorité de l’État dans les départements et collectivités d’outre-mer et d’assurer la coordination des actions des ministères pour l’outre-mer ».
Duvalier, Napoléon, l’outre-mer, l’avenir, la première journée de Michel Martelly en France a été marquée définitivement par des rappels et par la nécessité d’écrire de nouvelles pages dans les relations entre les deux pays.
Frantz Duval